Pourquoi j’ai quitté QS : pour vivre mon militantisme autrement

Tout d’abord, je tiens à dire que mon départ de QS est une décision mûrie depuis un moment. C’est une accumulation d’événements et de positionnement constituant des désaccords politiques qui a mené à cette rupture, car je ne suis désormais plus à l’aise de cautionner – en restant membre – un certains nombres de discours, de pratiques, d’orientation idéologiques et stratégiques. Même en politique, je priorise la réduction de mes dissonances cognitives et la créativité non nostalgique.

Je le précise, parce que suite à mon annonce sur Facebook, j’ai reçu un certain nombre de messages, dont quelque uns qui mettaient l’accent sur la fatigue et le trop plein qui auraient pu conduire à ma décision. Je remercie ces personnes pour leur bienveillance, mais je vous rassure : tout va bien.

Avant de lister les raisons de ma démission, parfois de manière acerbe j’en conviens, je tiens à souligner que QS reste de mon point de vue le parti politique provincial le moins pire, qui continuera probablement à recueillir mon vote à l’avenir, à moins que mes désaccords avec lui ne s’aggravent, ou qu’une alternative partisane envoûtante ne se fasse jour et ne se développe.

La transition énergétique

Lors de la préparation de la plateforme électorale 2018, un plan de transition énergétique a été réalisé par QS. Un comité d’expert a été mis en place, en parallèle du comité environnement et du réseau militant écologiste du parti. Puis on nous a proposé ce plan, à prendre ou à laisser, sans initialement, possibilité de l’amender. Il a fallu se battre pour que ce plan soit discuté et modifié. Ce contournement de la méthode historique de construction du programme et de la plateforme à partir des personnes militantes et expertes profanes de la base du parti, a été particulièrement mal vécue par une bonne partie des membres actif·ve·s. Et cela a été dénoncé en congrès : plus jamais ça! Et pourtant…

Ultimatum 2020

Pourtant, un an plus tard, rebelote : la direction du parti nous pond une stratégie d’action politique non discutée et non amendable. Le but : capter l’éco-anxiété grandissante en surfant sur l’urgence écologique pour faire du capital politique et médiatique qui aboutira à des gains électoraux en 2022. Après tout, Manon n’est-elle pas l’idole des jeunes? L’intérêt secondaire : construire un nouveau réseau militant qui constituera autant de bénévoles électoraux qui pourront s’affairer dans des circonscriptions faibles en membres, renforcer nos châteaux forts, et remplacer de potentiel·le·s récalcitrant·e·s du membership historique. Nous verrons bien si ce coup de génie sera payant en 2022 – et à quel prix – reste qu’il s’agit encore d’une imposition par le haut, comme la culture des vieux partis, à l’inverse de la culture historique du parti, de la culture qui m’avait fait aimé QS. De plus en plus, il faut systématiquement exercer un rapport de force avec le leadership…

Les chinois

Cet épisode a probablement été l’un des plus consternant qu’il m’ait été donné d’observer dans mes 5 années de militantisme solidaire. Je ne l’avais jamais commenté jusqu’à présent. Le déversement de bile qu’il a suscité a été stupéfiant. Les paroles malheureuses et factuellement inexactes d’une députée ont suscité une réaction courroucée de personnes premières concernées par la sinophobie, rejointes par des militant·e·s antiracistes. Et au lieu de se questionner sur l’intériorisation des discours oppressifs, de débattre de la sinophobie québécoise, de faire mea culpa et d’écouter, on a eu le droit à 10 jours de déni et d’euphémisation, pour finir par l’exercice classique des pseudo-excuses. Et aucune réaction officielle du parti. Lamentable.

Ève la sorcière

Je crois que le titre se suffit à lui-même. Je n’ai jamais vu une vindicte aussi forte, régulière et odieuse à l’encontre d’une membre de QS de la part d’autres membres de QS. Jamais, pour une opinion ou une blague sur les réseaux sociaux, un membre blanc ou une membre non-voilée aurait reçu le quart de ce que ma camarade s’est prise dans la gueule et a dû endurer. Sérieux j’ai eu honte. Honte de mon parti. Honte de la coporte-parole qu’il l’a enfoncée dans les médias. Honte de mon association locale. Quand on voit la levée de bouclier et le support que reçoit à juste titre Catherine Dorion face aux attaques qu’elle encaisse régulièrement, notamment pour une blague d’Halloween, on est en droit de constater que certaines figures solidaires ont plus de privilèges que d’autres.

Le code d’éthique

Je crois que ce moment de cynisme assumé a été pour moi le plus ahurissant de toutes mes expériences comme délégué aux congrès/conseil national de QS, le parti justicier de l’éthique, dénonçant la collusion qui ronge les vieux partis. Alors qu’une proposition pour la création d’un code d’éthique interne au parti arrive sur le plancher, c’est le défilé des mandarins au micro : ça va être compliqué, ça peut pas s’appliquer à tou·te·s de la même manière, et blablabla. L’ensemble des dirigeant·e·s voteront contre. Il faudra même compter le vote. Les délégué·e·s ne s’y sont pas trompé. Mais on sait où logent les dirigeant·e·s : au-dessus.

Le duopôle Gabriel-Manon

Comme dirait Manon : « Gabriel c’est la tête et moi c’est le cœur ». Passons ici sur la reproduction des stéréotypes de genre que pourtant QS proclame combattre. On le sait, l’arrivée opportune de la star Gabriel dans QS à l’occasion d’une partielle imperdable avait à l’époque suscitée des remous en interne. Bof, cela s’est avéré payant puisque l’arrivée de beaucoup de nouveaux membres a accompagné le sacre du prince érable. Sauf qu’il reste clivant à l’intérieur du parti, pour de plus ou moins bonnes et légitimes raisons à mon avis. Et donc la rumeur s’est lentement diffusée : pourquoi pas un autre porte-parole masculin? Le stratagème était tout trouvé : inventer une candidature commune, histoire de bien cadenasser symboliquement l’élection, en décourageant les autres candidatures. En effet, comment se sentir respecté·e et bienvenu·e au cas où on gagnerait contre l’un·e ou l’autre? Sans limitation du nombre de mandats, préparez-vous à les avoir longtemps ces deux-là!

Loi 21 : service minimum

Sol a paru bien seul pour lutter contre la loi 21. En fait, QS a choisi de se contenter de murmurer, pour ménager la chèvre indépendantiste et le chou inclusif de son électorat. On a bien eu des paroles, paroles, paroles bien rassurantes mi-septembre, mais pendant ce temps, des lois discriminatoires, liberticides, contre-productives et inutiles continuent à être votées. Et c’est toujours les mêmes qui trinquent. On sait qui. En tout cas pas l’écrasante majorité de l’establishment solidaire, ni même des solidaires d’ailleurs. Pire, quand des associations montréalaises, des militant·e·s de la base, se sont organisé·e·s pour écrire une lettre ouverte de solidarité aux personnes visées par cette loi, on a eu droit à un « soutien » tout à fait étrange de la part du parti. Nous avons été convoqué·e·s pour nous demander de réviser ladite lettre, tout en refusant de nous aider à la diffuser. Le parti de la rue hein!

Et puis quand Manon explique qu’en cas de formation d’un gouvernement solidaire on ne renouvèlerait pas la clause dérogatoire… on reste abasourdi. Notre programme est clair : en cas de gouvernement solidaire, ce dernier devrait abroger la loi 21 ou en tout cas les articles qui ne correspondent pas au programme solidaire. Point barre. On s’en fout de la clause dérogatoire.

« Mêlez-vous de vos affaires »

Cette sortie de Manon à propos d’une possible contestation fédérale de la loi 21 en pleine campagne électorale canadienne a fait mal. D’abord parce qu’au sein de QS, tou·te·s n’ont pas la même position sur la question nationale. Il y a des indépendantistes convaincus, d’autres obsédés. Certain·e·s pensent que l’indépendance peut-être un moyen, et non une fin. Puis il y a les membres indifférent·e·s. Et enfin, celles et ceux qui militent pour la justice sociale, raciale, sexuelle et de genre avant tout, et qui n’ont pas bien le choix que de se retrouver dans QS. C’est pour cette raison que QS se refuse à appuyer officiellement ou officieusement un parti particulier lors des élections fédérales. C’est pour cela que le congrès exige des coporte-paroles du parti qu’il et elle n’émettent aucun commentaire durant la campagne électorale (Amir en a payé le prix médiatique et militant par le passé). Or, faire la cowboy anti-fédéraliste et s’ingérer dans la campagne fédérale à propos de la loi 21 dont le Bloc québécois avait fait son totem identitaire, c’était cracher à la face du congrès, soutenir indirectement le bloc identitaire, et piler sur le voile des québécoises musulmanes. Blâme.

Les « maîtres » canadiens

La saillie de Sol après les élections fédérales, qualifiant de « maîtres » les député·e·s canadien·ne·s, a été pour moi la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Oser prononcer ce mot si chargé et connoté, au nez des autochtones et à la barbe d’un partisan chef enturbanné, était d’une violence inouïe. Un professeur de philosophie ne peut pas ignorer ce que représente, historiquement et symboliquement, le terme « maître ». Il renvoie dialectiquement au terme « esclave », et donc notamment au travail d’Hegel, de Sartre et de Fanon. On ne parle pas comme cela quand on est descendant de colon et élu d’un État colonial. (Un peu comme Trump n’aurait pas dû utiliser le terme « lynchage » pour qualifier la procédure d’impeachment qui le touche). Les politicien·ne·s possèdent un capital culturel considérable, ils ne peuvent ignorer le poids des mots, la puissance politique du langage, et l’impact de la violence symbolique qu’il génère. Si ces choix discursifs ne sont pas pensés, alors on a affaire un amateurisme plus que navrant, et il faut rapidement écouter pour vrai les personnes qui lancent l’alerte depuis un moment (ou s’entourer d’une autre équipe). Si par contre ces choix discursifs sont assumés, on nage alors en pleine obscénité [blanche].

Le parachutage raté de Jean-Talon

Bon, je crois que les choses ont suffisamment étaient commentées pour ne pas en rajouter une couche. Fatal error. Mais qui conseille QS? En tout cas, c’était amusant de voir les petit·e·s soldat·e·s qui avaient déchiré leurs chemises féministes lors des investitures pour les dernières élections provinciales retourner leur veste cette fois-ci. Un délice de cynisme.

Les petit·e·s soldat·e·s

C’était cocasse au début, mais c’est devenu franchement horripilant – c’est un euphémisme – sur le long cours. À chaque fois que pointent des critiques sur les actions et le discours du parti, de ses dirigeant·e·s ou de ses député·e·s sur les réseaux sociaux internes ou lors des instances du parti, les petit·e·s soldat·e·s rappliquent dans la seconde pour défendre la ligne. Gare à la dissidence! En tout cas, entre le maternalisme de la présidente toujours au garde-à-vous pour justifier tous les manquements à la parole donnée et aux mandats votés en congrès, et les trolls du printemps érable qui vomissent leurs éléments de langage, c’était effarant. (Des fois j’avais l’impression de me retrouver au milieu d’un dialogue entre les jeunesses communistes et les jeunes socialistes en 1993 lorsque l’on préparait une manif lycéenne contre le gouvernement Balladur). Il fallait les voir commenter – se moquer – en direct live sur Facebook du discours d’un de leurs concurrents à des élections internes au CCN. La grande classe. Bon OK les ami·e·s, 2012 c’était quelque chose… mais revenez-en!

L’indépendance et les autochtones

Je m’accommodais de l’indépendantisme solidaire puisqu’il s’articulait sur le seul processus constituant quand j’ai adhéré. Dès le départ – certain·e·s camarades de QSHM pourraient en témoigner – la question nationale m’a toujours paru entrer en conflit avec la question autochotone. Il y a pour moi une contradiction fondamentale à vouloir traiter la souveraineté des Premières Nations en même temps que de l’indépendantisme québécois. La question autochtone doit précéder la question nationale. Sinon, il s’agit de remplacer une structure coloniale par une autre. C’est d’ailleurs pourquoi je réfute l’utilisation du terme « autodétermination » pour qualifier la relation solidaire avec les autochtones. Il s’agit pour le moment tout au plus d’une consultation comme il y en a depuis 50 ans (ça fait un moment qu’on connait les revendications autochtones), qui aboutirait à une forme plus ou moins grande d’autonomie autochtone, et à la division de certains de leurs territoires ancestraux entre Québec et Canada.

À ce propos, on ne comprend pas grand-chose aux différentes déclarations contradictoires des dirigeant·e·s solidaires. Un jour Gabriel indique « vouloir faire l’indépendance en partenariat avec les Premières Nations, sans nécessairement ouvrir la porte à une option de retrait pour eux d’un Québec souverain », que « ce n’est pas de diviser le territoire, c’est de le partager et de les consulter tout au long du processus ». Le lendemain Manon explique « que dans un Québec souverain, son parti reconnaîtrait le droit aux Premières Nations et aux Inuits de se séparer du Québec s’ils le voulaient ». Puis Radio-Canada écrit qu’elle aurait dit que « les autochtones pourront se séparer d’un Québec souverain mais sans partition du territoire ».

Espérons que la création d’une Commission nationale autochtone (CNA) au sein du parti permettra de clarifier la situation, de définir les contours de l’autodétermination à la solidaire. Car en terme décolonial, les bons mots et les bonnes intentions ne sont pas suffisants. Il faut aussi décoloniser les ressorts idéologiques du modèle souverainiste. Cela dit, il est permis de se demander si la CNA ne serait pas de toute manière une coquille vide, puisque le fond du problème c’est justement la définition même « d’autodétermination autochtone »: il n’y a pas autodétermination à partir du moment où ce sont des structures coloniales qui en déterminent une partie.

Mais bon, les personnes premières concernées feront ce qui leur plait et il est de toute façon trop tard pour espérer changer la stratégie, puisque QS vient de décider de traiter de la question nationale dès l’élection d’un gouvernement solidaire, même démographiquement minoritaire, avec des gestes de ruptures institutionnels immédiats; ce qui me semble refléter une stratégie politique obsolète et non inclusive. Et si jamais ça arrive, je souhaite bon courage aux syndicats du secteur public fédéral!

Je pensais bien naïvement que QS se constituerait en une refondation totale des notions de souveraineté, de frontières et de gouvernance, en fonction des exigences écologistes, internationalistes et pluralistes du XXIème siècle. On m’avait pourtant prévenu au moment de la fusion avec ON : « les nationaleux vont rappliquer et changer le paradigme ». Si « fermer » le mandat de la constituante était une concession raisonnable pour moi dans le cadre d’une fusion stratégique sur le plan électoral, la nouvelle stratégie de transition vers l’indépendance est une ligne rouge pour ce qui me concerne. Le virage [option]-nationaliste de QS, dépassant sa position souverainiste plus souple et concertée, aura eu en dernier lieu raison de mon engagement dans ce parti.

Oui je suis pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qu’ils soient ouïghours, catalans, écossais, kurdes, corses, flamands, kanaks, bretons ou québécois. Mais je suis d’abord pour le droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, pas pour celui de disposer – directement ou indirectement – des droits des peuples autochtones.

Introspection

Je me rends compte que je suis bien trop cosmopolite, européen et internationaliste pour continuer à adhérer à un narratif indépendantiste qui valse entre une séduisante forme inclusive et civique, et un fond ethnolinguistique, institutionnel et territorial très classique, prolongeant les systèmes coloniaux et les modèles identitaires ethnocentristes (j’ai fui la France notamment pour ça). Je me suis menti à moi-même (de manière à adhérer au parti qui me ressemble le plus).

J’ai déménagé à Montréal parce que c’est une ville bilingue. J’ai déménagé à Montréal parce que j’y ai trouvé un mélange des genres qui n’existe pas en France. J’aime Toronto parce que c’est une ville non blanche et je m’y sens chez moi. J’ai déménagé au Canada pour sa diversité et son multiculturalisme, pas pour y retrouver les élans de supériorité morale républicaine : « notre Québec souverain sera le plus vert, le plus inclusif et le plus égalitaire au Monde ». (Faut être sacrément présomptueux voire mégalomane pour dire ça.) En fait, je crois que je n’ai jamais vraiment déménagé au Québec. Tout simplement.

Et par les temps nationalistes qui courent, ou lorsque je lis et entends des camarades parler du ROC, je ne suis plus certain d’être (néo)québécois tout court. Et bien honnêtement, j’en ai rien à foutre de se séparer ou pas du Canada. Est-ce que ça fait de moi un fédéraliste? Peut-être. Ainsi, Gabriel et Sol n’auront fait que renforcer mon choix de rupture militante en affirmant aux médias le weekend dernier ne pas connaître de fédéraliste dans QS et d’ajouter : « Tout le monde est bienvenu, mais Québec solidaire est un parti indépendantiste, il faut être d’accord avec la démarche indépendantiste ». La messe est dite : je ne me sens définitivement plus le bienvenu dans QS (au cas où je changeais d’avis, sait-on jamais).

Anyway, mon identité, n’est pas nationale, et mon mari et moi, on songe de plus en plus à quitter le Québec, ou militer pour l’indépendance de Montréal…