Lectures estivales… Serosorting, Don’t Act ?

[Pour l’association Warning, 16 août 2007 : http://www.thewarning.info/spip.php?article227]

L’école de pensée tradipréventionniste reste vis-à-vis du serosorting encore arc-boutée sur des considérations ségrégationnistes (pas totalement illégitimes par ailleurs, mais pas suffisantes) et des polémiques épidémiologiques. Cette vision partielle (partiale ?) exclut donc de l’analyse les dimensions émotionnelles et relationnelles qui structurent aussi les pratiques de serosorting.

Et à ne parler que de sérotriage, sans jamais aborder la séropréférence, on ne comprend effectivement rien aux concepts de sérochoix et de séroadaptation, pire, on les caricature.

On se réfugie alors mécaniquement dans les vieux dogmatismes, inefficaces sur les personnes [1] qui ne se con-forment pas à la tradiprévention. Les conséquences sociales et communautaires qui en découlent sont, elles, rarement examinées à leur juste coût politique : stigmatisation, infantilisation, déshumanisation, criminalisation, contamination.

Heureusement, de par le monde depuis quelques années, des chercheurs s’intéressent scientifiquement au serosorting : voir cet article de Gus Cairns (en anglais) synthétisant les présentations sur le sujet lors de la 8ème conférence internationale « AIDS Impact » du 1 au 4 juillet 2007 à Marseille. Et bonne nouvelle, maintenant en France aussi on s’y intéresse autrement que d’un point de vue controversé et moralisateur. Ça fait du bien !

La dernière publication de l’ANRS, Sexualité, relations et prévention chez les homosexuels masculins. Un nouveau rapport au risque, est de ce point de vue remarquable :

« Un nouveau contexte social et épidémiologique s’est mis en place dans les années 2000 parmi les homosexuels masculins. La prévention n’est plus perçue comme condition d’accès, librement acceptée, à la sexualité, mais dans bien des cas comme une contrainte ou un obstacle potentiel aux relations ou à l’épanouissement sexuel. Cet éloignement à la norme de prévention n’est pas limité à de jeunes générations qui n’auraient pas connu les ravages du sida ; l’enquête ANRS Presse Gay montre bien que le « relâchement » est général. Par ailleurs, un renouvellement de la sociabilité gay est en cours, avec le développement des rencontres par l’Internet, qui ont connu un succès fulgurant chez les homosexuels masculins. Au-delà du développement d’un nouveau moyen de communication, il faut sans doute mesurer la profonde modification du contexte normatif de la sexualité, qui a touché les homosexuels comme les autres. Il n’y a plus aujourd’hui d’institution, d’instance sociale ou de communauté capable d’imposer une norme collective en matière de sexualité. Nous avons aujourd’hui besoin d’en savoir beaucoup plus sur les pratiques individuelles de protection des homosexuels masculins. »

Le Quotidien du Médecin a mis en ligne une entrevue avec l’un des deux coordinateurs de cette publication, Michel Bozon, sociologue et directeur de recherche à l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques, Paris). Voici quelques extraits ayant retenus notre attention :

« […] la participation des séropositifs, hétérosexuels ou homosexuels, au marché des échanges sexuels est devenue aujourd’hui beaucoup plus manifeste. Le fait que la proportion de séropositifs parmi les homosexuels se situe entre 12 et 15 % revêt une importance décisive. »

« […] les comportements face à la prévention sont en train de se transformer en profondeur. Les attitudes de non-recours à la prévention deviennent de plus en plus visibles, beaucoup moins dissimulées. » [2]

« Même dans les milieux où le bareback est revendiqué, il existe des codes de bonne conduite entre partenaires qui font référence en partie aux recommandations du safer sex. »

« Au fil de l’âge et avec l’évolution de l’épidémie, les individus se sont mis à percevoir de plus en plus la culture de prévention, le safer sex, comme une contrainte plutôt que comme une condition d’accès à une vie sexuelle. »

« Les séropositifs, quant à eux, éprouvent une certaine lassitude à l’égard de l’exigence de protection permanente. Ils sont de plus en plus tentés par des pratiques de sérotriage qui consistent à n’avoir de rapports qu’avec des personnes de même statut sérologique sans se préoccuper des risques de surcontamination. Un corollaire est que, dans certains réseaux sexuels auxquels ils participent, les informations sur la transmission d’IST circulent. En pratique, dès qu’un membre du réseau est atteint par une IST, l’information est immédiatement transmise aux autres membres. »

« Il existe en effet un ensemble de pratiques de réduction des risques qui font partie de ces nouvelles négociations de bonnes conduites dans les réseaux relativement homogènes de personnes séropositives, notamment sur les sites de rencontre de barebackers. Les tentatives existent même si leur efficacité est parfois assez limitée. Cela prouve qu’il n’y a pas d’indifférence au thème du risque, même si l’évaluation personnelle du risque que l’on court peut être assez fantaisiste. »

Nous vous recommandons cet ouvrage qui nous permettra tous, nous l’espérons, d’avoir encore et ensemble des discussions constructives évacuant enfin les vieilles polémiques.

Dans cette logique a-polémique et a-politique, notons tout de même cet article, La préférence sérologique ?, paru dans le magazine « Vacarme » de cet été. Cosigné par trois ancien-ne-s président-e-s d’Act Up-Paris, cet article présente une synthèse épistémologique des définitions, cadres, limites et possibilités pratiques du serosorting en terme idéologique, psychologique, social et culturel. On reste cependant sur notre faim quant au positionnement des auteur-e-s vis-à-vis de son application dans les programmes de prévention. Il semble que la question plus générale de la réduction des risques, où le serosorting dans le cadre précis de la séroadaptation trouve une résonance objective en prévention, empêche encore ces auteur-e-s expérimenté-e-s de prendre une position claire et audacieuse dans leur conclusion. Mais au moins, cela fait avancer le débat sans nous mépriser, et ça à Warning on adore !

Bonnes lectures !

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 Références :

BOZON, Michel. DORE, Véronique (dir.). (2007). Sexualité, relations et prévention chez les homosexuels masculins. Un nouveau rapport au risque. Paris : ANRS.

CAIRNS, Gus. When serosorting is seroguessing. Aidsmap, le 11/07/2007.

COSSE, Emmanuelle. MANGEOT, Philippe. PATOUILLARD, Victoire. (2007). La préférence sérologique ? Vacarme, juillet-août-septembre, n°40, Paris.