[Pour l’association Warning, 12 septembre 2008 : http://www.thewarning.info/spip.php?article255]
Au mois d’août dernier s’est déroulé dans la capitale mexicaine la XVIIème Conférence Mondiale contre le Sida. Nous n’avons pas pu y aller, notre présence à Mexico n’a donc pu être que virtuelle (nous y avons présenté un poster sur notre concept de séroadaptation). Mais il convient tout de même de vous parler de ce qui a retenu notre attention…
Inutile de revenir sur la remarquable absence de notre ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, Mme Roselyne Bachelot-Narquin. Vu la politique qu’elle mène depuis sa nomination, sa venue n’aurait strictement rien changé.
Si les adultes peuvent voter, les enfants non. Aujourd’hui, les enfants séropositifs sont largement moins traités que les adultes. Ils meurent donc plus et dans le silence, en Afrique plus vite qu’ailleurs. La mise en place des programmes de dépistage systématique en direction des enfants reste une priorité, notamment là où la prévalence chez les adultes est très importante. Il faut continuer à exiger des laboratoires pharmaceutiques qu’ils créent ou continuent à produire des traitements antirétroviraux (ARV) adaptés aux enfants : on pense au Kaletra pédiatrique d’Abbott, mais surtout au Sustiva en formule pédiatrique dont BMS a suspendu la fabrication, compliquant la prise d’ARV pour de nombreux enfants partout dans le Monde. Outre les enfants, il y a les femmes, de plus en plus touchées sur l’ensemble de la planète. Et les gais, dont la prévalence ne cesse d’augmenter de façon inquiétante en Asie, en Europe de l’Est et en Russie où là-bas se cumule la dramatique situation des utilisateurs de drogue par injection qui n’ont accès à presqu’aucun programme d’échange de seringues. Cette Russie homophobe et anti-toxicomane, on la retrouve un peu dans nos prisons occidentales, où il est très rare de trouver des structures et des programmes qui préviennent des rapports sexuels forcés et protègent les injecteurs de drogues de la transmission du VIH et des hépatites. Il n’y a même pas de préservatifs dans nombre de nos prisons et l’accès aux traitements n’est pas toujours assuré ! La réduction des risques et des méfaits, ça n’est toujours pas mérité pour les taulards, même en France et au Canada ! Pour cela, il faut être emprisonné en Suisse…
La cause provient-elle d’un manque de financements ou de résistances vis-à-vis des approches préventives qui embrassent la réduction des risques ? Un peu des deux certainement, et cela pas seulement dans les pays aux dirigeants les plus réactionnaires mais aussi en France où les financements baisseraient selon certains (on les dit constants au ministère) et les politiques systématiques de réduction des risques sexuels traînent des pieds. Une petite note d’espoir quand même, le nombre annuel de contamination semble stagner chez les gais français (voir notre brève).
Plus largement, le financement de l’accès universel aux ARV n’est toujours pas suffisant. 3 millions de personnes concernées aujourd’hui, 10 millions demain entend-on ? Mais c’est sans calculer l’augmentation du coût des traitements dus à l’interdiction de la fabrication de nouveaux génériques. Ainsi, dans le cas des pays pauvres, le traitement annuel d’un patient, celui qu’on donne en premier (dénommé « première ligne ») coûte 100€/an au Fond Mondial de lutte contre le Sida, alors que le traitement qu’on donne quand la première ligne n’est plus efficace coûte lui entre 860€ et 2400€ : avec 10% de patients qui changent de ligne chaque année, les promesses actuelles de don c’est des cacahuètes…
Argent, money, dinero ! La question du financement est donc restée capitale lors de la conférence et c’est tant mieux car il faudra toujours plus de molécules…
Ah ! Le préservatif ! Entre les recommandations suisses et l’étude canadienne du Professeur Montaner (voir cette transcription ou la vidéo du satellite en question) montrant que traiter c’est réduire les risques de transmission, traiter plus tôt c’est une meilleure espérance de vie, bref, traiter c’est prévenir, c’est toute la planète prévention qui est chamboulée. On l’a vu cette année en France où des débats sur ces questions ont éclaté parmi les associations de personnes séropositives et de lutte contre le sida, avec une résistance souvent mal argumentée de la part de certains associatifs et de certaines structures institutionnelles. On ne reviendra pas ici dans le vif du sujet, mais il s’agit plutôt de souligner qu’à Mexico, les nombreux acteurs de la prévention ont affirmé en force qu’il fallait repenser et réactiver cette dernière, et surtout parmi les populations les plus exposées aux risques de transmission du VIH-sida et des hépatites. On peut donc se réjouir que les acteurs mondiaux de la prévention se veulent en pointe sur ces questions car avec 2,5 millions de nouvelles contaminations l’année dernière, il faut désormais et partout faire une prévention qui soit à la fois biomédicale (traitement précoce, gels, circoncision, prophylaxies pré- et post-exposition), comportementale (réduction des risques sexuels) et structurelle (éducation sexuelle, lutte contre l’homophobie). Les combinaisons de stratégies comportementales et structurelles fonctionnent quand elles sont bien conçues, on en a des exemples récents dans certains pays d’Afrique ; il est démontré maintenant que la stigmatisation des homosexuels est particulièrement contre-productive en Afrique et en Amérique latine [1]. Certes il faut continuer à faire de la prévention primaire, mais il y a nécessité de faire toujours plus de prévention positive c’est-à-dire pour et par les personnes séropositives : l’expertise des personnes concernées est une arme inégalable.
C’est pourquoi Warning a signé sans hésiter le Manifeste de Mexico.
Cette conférence a marqué le retour de la prévention comme élément central de la lutte contre le VIH-sida, on ne peut que s’en réjouir !
Pour finir, un autre aspect très grave de la pandémie a été pointé du doigt avec un consensus qu’il faut absolument souligner et soutenir ! Suite au plaidoyer du juge sud-africain Edwin Cameron, la pénalisation de la transmission du VIH-sida est désormais unanimement considérée par les acteurs mondiaux de la lutte contre ce virus et les personnes séropositives comme contre-productive et contraire aux droits de l’homme. Car comme l’a si bien fait remarquer l’homme de loi, « le VIH est un virus et non un crime ».
Bonne rentrée à tous !
[1] Saluons évidemment la création d’Africagay, coalition d’associations gaies et de lutte contre le VIH-sida de l’Afrique francophone.