Sortir couvert et/ou PrÉParé : il est où le problème ?

[Coécrit pour l’association Warning, 8 février 2014 : http://www.thewarning.info/spip.php?article420]

La PrEP quotidienne est au moins aussi efficiente que le préservatif. Pourtant, comme pour les débuts du préservatif ou pour le développement du bareback, une panique morale fondée sur des spéculations scientifiques invalidées et des représentations décaties, entoure ce nouvel outil de prévention biomédicale. Un plaidoyer novateur doit être développé !

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Il y a quelques semaines, au cours d’un de nos échanges internes à propos de la PrEP, Georges Sidéris, président de Warning, énonçait : « Il est où le problème ? Nous disposons aujourd’hui de comprimés qui peuvent nous permettre d’avoir une sexualité épanouie sans risquer d’être infectés par le VIH : la PrEP quotidienne au Truvada est une chance énorme, que ce soit pour les gais, les personnes transsexuelles ou les hétérosexuels en particulier dans les pays de l’Est et les pays du Sud. Nous devrions être contents de cette formidable invention, nous devrions la promouvoir, exiger un accès immédiat et pourtant tel n’est pas le cas. Certains font la fine bouche avec des arguments spécieux. Ce faisant ils ne se rendent pas compte du tort qu’ils font à des millions de personnes, en particulier dans les pays africains où les gais sont persécutés comme au Cameroun, au Nigéria ou en Ouganda, et où beaucoup de femmes doivent se soumettre à l’autorité de l’homme qui ne veut pas de préservatif ». Alors voilà, force est de constater que les arguments contre la PrEP ne tiennent pas la route…

Du déni scientifique…

Quand des milliers de personnes aux États-Unis – dont la moitié de femmes pour lesquelles il est encore structurellement plus difficile de négocier le préservatif – bénéficient depuis juillet 2012 de PrEP quotidienne [1], et qu’aucune acquisition du VIH n’a été documentée, il est où le problème ? Quand l’impact limité des effets secondaires et des résistances induites parmi les usagers de Truvada en PrEP quotidienne ont été établis [2], il est où le problème ? Quand le coût/efficacité de la PrEP en continu pour des populations très exposées au risque d’acquisition du VIH a été démontré [3], il est où le problème ? Du point de vue scientifique il n’y a pas de problème, même si certains prétendent le contraire en brandissant la menace que ferait peser les « autres infections sexuellement transmissibles » sur la santé publique. Faut-il rappeler qu’elles sont traitables voire vaccinables, que les cas de gonorrhées résistantes sont encore très rares, et que cette problématique n’hystérisait pas les bonnes consciences avant l’apparition du sida. Il faut certes rester vigilant et rigoureux sur cette question – notamment du point de vue de la santé sexuelle des femmes – mais non il n’y a pas de problème. Le problème se situe plutôt du côté des mentalités.

Des résistances générationnelles…

Deux articles américains nous éclairent sur les résistances idéologiques qui frappent la PrEP. Le premier intitulé « Arrêtez le matraquage des jeunes hommes gais avec notre tragédie du sida » [4]signé de Mark S. King (un ami d’Erik Rofes), critique sévèrement ses pairs anti-PrEP. Il décrit leur stratégie : ces derniers instrumentalisent les années noires du sida et la perte de proches pour refuser aux jeunes générations de gais un nouvel outil de prévention – qui leur permettrait à eux de pouvoir se passer de préservatif ou, du moins, de l’oublier de temps à autre. Il assimile les résistances des anti-PrEP à un « choc post-traumatique », un complexe du « survivant » non résolu, qui les rendrait sourds et aveugles à la possibilité même que les sexualités reviennent aux modalités des années pré-sida. Bref, un insupportable effet miroir d’une génération sacrifiée et contrainte par ce bout de latex si injonctif : pourquoi moi, stakhanoviste exemplaire de la capote, et pas eux, inconscients subversifs ? Une difficulté – et pour certains une impossibilité – à se projeter dans un monde sexuel et préventif profondément différent de celui pour lequel ils se sont battus et qui a modelé leur rapport à la sexualité.

Le deuxième article de Mark Joseph Stern (journaliste francophone [5]), démonte le mythe de la « compensation des risques (c’est-à-dire l’abandon d’autres pratiques de safer-sex) » : il explique que cela ne s’est jamais produit dans les études, et que l’usage du préservatif diminue partout, indépendamment des stratégies de prévention (tout-préservatif ou combinée). Il pointe aussi les incohérences des détracteurs de la PrEP obsédés par l’observance : et si les utilisateurs de PrEP oubliaient des prises ? « Mais les humains ont aussi du mal à utiliser les préservatifs et pourtant personne n’y voit un motif pour les abandonner purement et simplement ». Or, il suffit de l’oublier une fois pour se contaminer, ce qui est loin d’être le cas pour la PrEP (sinon on n’envisagerait pas de la tester sur un mode intermittent).

Veut-on mettre l’ère post-sida à notre portée ?

Nous avons droit à une sexualité épanouie, qui que nous soyons. Le plus gros problème que nous avons, c’est celui, éternel, du prix prohibitif des traitements et de leur prise en charge pour toutes et tous. Nous avons besoin de comprimés à des prix accessibles [6], qu’ils soient utilisés pour traiter ou pour prévenir le VIH, et qui soient accessibles pour tous, que ce soit dans les pays riches ou les pays pauvres, pour les LGBT ou les hétérosexuels, femmes ou hommes. Nous voulons particulièrement penser à toutes ces femmes qui ne peuvent refuser un rapport sexuel sans préservatif. Cela ne règlera pas la problématique de la séro-ignorance (largement responsables du maintien de l’incidence), mais ce serait à coup sûr un pas dans la bonne direction [7]. Alors que le nombre d’hommes gais prenant la PrEP aux États-Unis vient de faire un bond [8], les autorités de santé publique et les organisations communautaires de lutte contre le sida ont une responsabilité morale à agir… vite et partout !

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Notes :

[1] RM Mera, MK Rawlings, A Pechonkina, JF Rooney, T Peschel, A Cheng Gilead Sciences, Inc., Foster City, CA.Status of Truvada (TVD) for HIV Pre-Exposure Prophylaxis (PrEP) in the United States : An Early Drug Utilization Analysis, ICAAC 2013 Sept 10-13.

[3] Schackman BR, Eggman AA. « Cost-effectiveness of pre-exposure prophylaxis for HIV : a review »Curr Opin HIV AIDS. 2012 Nov ;7(6):587-92.

[4] Mark S. King.Stop Bludgeoning Young Gay Men with Our AIDS Tragedy, My fabulous disease, 21 novembre 2013.

[6] PrEP : du Truvada à 1$ par jour !, Warning, 16 mai 2012.

[7] Beyrer, Chris. « Strategies to manage the HIV epidemic in gay, bisexual, and other men who have sex with men »Current Opinion in Infectious Diseases :
February 2014 – Volume 27 – Issue 1 – p 1–8.

[8] Tony Kirby , Michelle Thornber-Dunwell. « Uptake of PrEP for HIV slow among MSM »The Lancet, Volume 383, Issue 9915, Pages 399 – 400, 1 February 2014.