Revenons d’abord à la définition de caricature (Larousse) :
– Représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par l’exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique.
– Image infidèle et laide, reproduction déformée de la réalité : Ce compte-rendu est une caricature de ce que j’ai dit.
– Personne très laide, ridiculement accoutrée ou maquillée.
Certes Charlie Hebdo n’a jamais fait dans la dentelle et l’intersectionnalité. Mais affirmer péremptoirement que Charlie Hebdo est un journal raciste est aussi simpliste que de dire que le Coran n’est que haine. Charlie Hebdo riait de l’homophobe Pape Jean-Paul 2 comme du tortionnaire Jean-Marie Le Pen. Il rit de Tarik Ramadan comme il rit d’Eric Zemmour. Il dénonçait la guerre en Irak comme le 11 septembre et l’occupation israélienne. Il rit des pédés du Marais comme de la Manif pour tous et du pédophile Vatican. Il rit de l’antisémite Dieudonné… et de l’Islam radical, avec des répercussions dangereuses pour le vivre ensemble et les minorités selon moi (et ça le leur a été dit à de nombreuses reprises).
Mais on ne peut ignorer 40 ans d’Histoire. Ces Cabu et Wolinski, hautes figures de Mai 68, qui ont profondément aidé et accompagné notre révolution sociale, sexuelle et postcoloniale. Ce Bernard Maris, un des seuls économistes français vraiment de gauche, qui critiquait vertement les absurdités, les mensonges et les dégâts du système néolibéral capitaliste. Il ne faudrait pas l’oublier et réduire Charlie Hebdo à ses seuls mauvais coups dans une France au modèle Républicain en panne, incapable de se réinventer. C’est beaucoup plus que ça qui est en jeu. Hier, c’est la liberté de la presse et d’expression qui a été attaquée. C’est le fondement du débat démocratique. « Être Charlie » s’est d’abord cela et simplement cela : se battre contre la pensée totalitaire. #JeSuisCharlie est un mouvement social d’unité dans une Nation qui en a bien besoin, particulièrement malade de ses rapports sociaux inégalitaires. Oui nous sommes Charlie la caricature, mais aussi Clarissa, Ahmed et Franck les policier.es, Mustapha le correcteur, Elsa et Sigolène les chroniqueuses, sans oublier les 4 otages tués parce que juifs… En sommes, des hommes et des femmes, croyant.es ou athé.es, black, blanc et beur comme la France.
Donc dire #JeSuisCharlie ne veut pas dire pour autant qu’on en partage toutes ses lignes éditoriales passées ni même ses blagues qu’on pouvait juger offensantes car homophobes, sexistes, classistes, racistes, de mauvais goût. À vrai dire, je les trouvais souvent ringardes et je ne lisais plus Charlie Hebdo depuis longtemps. Mais Charlie Hebdo m’a appris adolescent à aiguiser mon esprit critique, sans compromis, sans partisanerie, sans épargner personne dans le spectre politique.
Le fait d’utiliser ou non ce hashtag symbolique n’aura aucun impact sur l’humour noir de Charlie Hebdo et le racisme en général d’ailleurs. Il n’invisibilisera pas la réalité du racisme aux États-Unis : cette figure de style politique ne date pas de Ferguson. Ce n’est pas qu’une réappropriation du slogan des manifs étatsuniennes actuelles pour dénoncer le racisme de la police : c’est aussi une réappropriation du « tous Dreyfusard », du roi du Danemark qui met l’étoile jaune, du « nous sommes tous des juifs allemands » de Mai 68, et sûrement d’autres que j’oublie. C’est une continuité intertextuelle.
De toute manière, le problème n’est pas dans l’utilisation ou non d’un symbole, qui sera forcément polysémique (et on ne peut rien y faire)… Sauf si on le réduit à #JeSuisCharlieIslamophobe comme s’y prêtent certains (les fascistes verts n’attendent que ça d’ailleurs). Sans liberté d’expression, nous n’aurons PLUS DU TOUT de parole et de polysémie, qu’elle soit raciste ou pas. Alors oui je préfère que l’islamophobie s’exprime dans des dessins et des mots, plutôt que dans des politiques et des guerres. Dans le premier cas, il y aura au moins toujours des gens pour lui répondre. Ce 7 janvier 2015, une partie de la rédaction de Charlie Hebdo a été assassinée alors qu’elle préparait sa prochaine édition dont le thème était la lutte contre le racisme.