La PrEP doit-elle être intégrée d’office dans les essais de prévention ?

[Cotraduit pour l’association Warning, 12 septembre 2014 : http://www.thewarning.info/spip.php?article440]

Un récent article [1], publié dans la prestigieuse revue AIDS, fait le point sur la position de l’OMS et de l’Onusida sur l’éthique dans les essais de prévention à la lumière des résultats importants de l’essai américain iPrEx. À cette occasion, il apparait une fois de plus que l’essai Ipergay, mené par l’ANRS, n’est pas un essai éthique et devrait s’arrêter ou a minima modifier son protocole. Le placebo n’est plus acceptable. Ne soyons pas des cobayes. Voici une traduction libre de cet article.

Quatre essais cliniques ont démontré la protection contre le VIH que peut fournir la combinaison antirétrovirale emtricitabine/tenofovir [Truvada], en prise quotidienne chez les personnes non infectées à haut risque de contracter le VIH. Ces molécules sont normalement réservées aux personnes infectées. Les résultats de ces études de prophylaxie préexposition (PrEP) soulève la question de savoir quand, si ce n’est déjà fait, la PrEP sera prête pour être mise en œuvre dans la recherche [2]. D’autres auteurs se sont intéressés à l’éthique de la PrEP dans le soin clinique, mais la discussion sur le rôle de la PrEP dans les futures études en prévention du VIH s’est trouvée limité. Nous maintenons que mis à part des circonstances exceptionnelles, la PrEP est prête pour être mise en œuvre dans les futurs essais de recherche en prévention. Nous soutenons cette conclusion en référence au guide d’éthique de l’Onusida/OMS sur les essais de prévention biomédicale.

Prophylaxie préexposition : implications pour les prochaines recherches

Bien que les problèmes d’observance aient gravement atteint plusieurs essais, il est évident que la PrEP orale donne plus de 90% de protection contre le VIH quand elle est prise correctement. Le succès démontré de la PrEP comme prévention biomédicale du VIH amène deux défis éthiques pour les futures recherches. Le premier concerne la controverse autour de l’éthique du bras placébo de contrôle, et le second est au sujet de ce qui a été dénommé « standard de prévention » dans le guide de l’Onusida/OMS.

Le bras placebo de contrôle dans les essais de prévention du VIH

Quand il existe une intervention qui a fait ses preuves, le principe éthique de bienfaisance [3]justifie de fournir cette intervention à tous les participants des groupes de contrôle. Dans les essais de prévention du VIH, la question du placebo est évoquée dans le point 15 du document de l’Onusida/OMS :

« Le groupe témoin comme le groupe expérimental bénéficieront de toutes les mesures de réduction du risque de VIH reconnues efficaces. L’utilisation d’un placebo au sein d’un groupe témoin est éthiquement acceptable pour l’expérimentation d’une méthode de prévention uniquement lorsqu’il n’existe aucun mode de prévention du VIH apparenté à celui en cours d’étude, dont le bien-fondé du point de vue scientifique ait été établi au sein de populations comparables » (point 15).

Le commentaire [du document de l’ONUSIDA à propos du point 15] note qu’« il peut y avoir des raisons scientifiques impérieuses qui justifient l’usage d’un placebo plutôt qu’une intervention biomédicale efficace. Les raisons concernent la mesure de la sensibilité (la possibilité dans un essai de distinguer un traitement efficace d’un qui l’est moins), ce qui dans certaines circonstances pourraient justifier l’utilisation d’un placebo. Une discussion détaillée sur ces questions va au-delà du sujet couvert par cet article.

D’après le guide de l’Onusida/OMS, les variables qui suivent devraient être prises en considération pour savoir si il est acceptable d’un point de vue éthique d’’utiliser un contrôle par placebo dans les futurs études sur la PrEP.

  • La méthode de prévention biomédicale est-elle une préparation antirétrovirale orale ?
  • La population sur laquelle va être testée la nouvelle méthode est-elle la même que celle sur laquelle la PrEP a déjà démontré son efficacité ?

Modalité de l’agent de prophylaxie préexposition

Pour les futures recherches de PrEP orale, le guide de l’Onusida/OMS, à son point 15, peut être utilisé pour soutenir la conclusion qu’un témoin placebo ne pourrait pas être justifié si l’étude vise à démontrer l’efficacité d’un produit similaire à la PrEP orale. Cela pourrait inclure les études qui testent un nouvel antirétroviral en prise quotidienne pour la PrEP, le test d’une version longue durée d’action d’un antirétroviral déjà utilisé, ou encore le fait de tester une nouvelle stratégie de dosage d’un antirétroviral.

C’est un point qui concerne directement Ipergay. Le fait de tester une nouvelle stratégie de dosage, comme le fait Ipergay, ne justifie pas d’avoir un bras placebo comme l’indique l’Onusida.

Dans le cas d’agents administrés par une route différente, par exemple, une injection à longue durée, un microbicide topique ou un anneau vaginal imprégné d’’antirétroviral, les conclusions semblent aussi claires. Il peut être argumenté qu’une administration non orale distingue suffisamment de tels nouveaux produits par rapport à la PrEP orale, aussi le placebo peut être justifié. Ceci ne devrait pas interdire l’offre de PrEP orale à tous les participants, à la fois dans le bras actif et le bras placebo de l’essai, comme faisant partie du package standard de prévention.

Une population comparable

Le guide de l’Onusida/OMS dit aussi qu’un contrôle placebo est acceptable d’un point de vue éthique tant que l’agent en cours d’étude n’a pas été scientifiquement validé dans une population comparable ou approuvé par les autorités concernées. Dans ce cas, la validation scientifique est un indicateur d’universalité et implique qu’un simple standard mondial est approprié au niveau éthique pour déterminer ce qu’un groupe contrôle devrait recevoir dans les essais PrEP suivants. Avoir des essais avec placebo dans des populations dans lesquelles la PrEP a déjà montré son efficacité, pourrait raviver le débat sur les doubles standards dans la recherche.

Comme l’efficacité de la PrEP a été montrée pour les groupes à risque dans plus d’une étude transnationale, il est raisonnable de supposer que là où vivent les individus n’influe pas sur l’efficacité d’un produit. Dans cette situation, la charge de la preuve, c’est à dire que les nouvelles populations étudiées sont sensiblement différentes de celles pour lesquelles le TDF/FTC s’est montré efficace, devrait incomber à ceux qui défendent l’usage du placebo dans les prochaines recherches.

Là encore Ipergay dévie à la règle éthique, puisque la PrEP a déjà été scientifiquement validée dans la même population (les homosexuels) par l’essai américain iPrEx. Il n’y a pas de raison de penser que les gays français sont sensiblement différents des gays américains, dans leur comportement et leur physiologie au point de croire que la PrEP n’aurait pas la même efficacité. De plus, le protocole d’Ipergay n’a jamais fait la démonstration qu’il y a des différences sensibles.

La PrEP est-elle prête pour être considérée comme un standard de prévention dans la recherche ?

La deuxième question éthique concerne les standards de prévention, décrits dans le guide de l’Onusida.

« Les chercheurs, assistants de recherche et promoteurs des essais veilleront à ce que, tout au long de l’expérimentation d’une méthode biomédicale de prévention du VIH, les participants bénéficient du conseil et de l’ensemble des moyens les plus performants de réduction du risque de VIH, au titre du protocole de recherche dont ces services doivent faire partie intégrante. Seront ajoutées au fur et à mesure, après consultation de l’ensemble des parties prenantes, y compris de la communauté, les nouvelles méthodes de réduction du risque de VIH reconnues scientifiquement valables ou approuvées par les instances concernées » (point 13, Guide Onusida).

Si la PrEP était validée comme standard de prévention, cela signifierait très clairement que tous les participants des futures recherches en prévention du VIH qui la veulent devraient recevoir la PrEP. Pour parvenir à cette conclusion, il faut examiner 3 éléments : la « validation scientifique », « l’approbation par les autorités concernées », et la « consultation parmi les intervenants ».

Il est démontré que la combinaison TDF/FTC en PrEP, quand elle est utilisée comme prévu, protège contre l’infection du VIH et devrait être considérée comme validée scientifiquement. Le deuxième élément concerne lui les autorités compétentes. Dans les pays où TDF / FTC pour la PrEP n’a pas été approuvé par une autorité compétente, mais des études de prévention du VIH sont menées dans des populations où ce produit a déjà été validés scientifiquement, est-ce-que l’approbation de la PrEP par une autorité compétente est nécessaire pour la qualifier comme standard de prévention ?

L’inclusion de la PrEP comme élément du paquet standard de prévention peut être retardée de manière substantielle par l’exigence d’approbation et d’homologation par les autorités compétentes. Dans le cas de l’homologation du produit, la FDA a donné au TDF/FTC une indication formelle pour la PrEP. Cet imprimatur a des conséquences, à la fois scientifique et éthique, puisqu’elle provient d’un corps normatif qui a analysé les résultats des essais indépendamment des chercheurs. Généralement, le TDF/FTC est homologué pour le traitement du VIH mais pourrait être utilisé « hors-indication » en dehors de cette recommandation à tout moment pour la PrEP. Il est courant d’avoir des médicaments VIH avec un impact significatif en santé publique, utilisés sans indication formelle à la fois en recherche et en soin clinique.

Le poids accordé dans les recommandations officielles, comme celle publiées par l’OMS, peut aussi avoir un impact sur la vitesse d’introduction de la PrEP orale comme élément du paquet standard de prévention. D’un côté, la position de l’OMS sur la prep est importante car beaucoup de pays regardent d’abord l’OMS avant de décider des interventions en santé publique. De l’autre, le fait d’attendre les recommandations de l’OMS peut entraîner un retard du fait des procédures que l’OMS doit suivre pour établir ses recommandations. Il ne serait pas pertinent d’insister pour que les investigateurs attendent que l’OMS produise ses recommandations avant d’offrir quelque chose qu’ils considèrent comme validé d’un point de vue scientifique. Comme il est aussi problématique au niveau éthique de suggérer qu’un produit efficace reste indisponible tout simplement parce que les participants de la recherche vivent dans des régions où le produit n’est pas enregistré ou parce que l’OMS n’a pas produit de recommandations pour cet usage.

Le troisième élément renvoie à la consultation parmi les personnes parties prenantes. Il n’est pas irréaliste d’envisager des objections à l’ajout de la PrEP orale dans le paquet de prévention. Les chercheurs pourraient réclamer qu’il serait impossible d’un point de vue scientifique d’analyser les données d’une étude dans laquelle la plupart des participants auraient pris de PrEP. Cette objection devrait être considérée comme un échappatoire qui autoriserait les méthodologistes à affirmer que la fourniture de PrEP à tous les participants dans un futur essai de prévention du VIH rendrait impossible la mesure de l’efficacité. De plus, comme la procédure de négociation implique toutes les personnes concernées, les bailleurs pourraient pointer le fait qu’un plus grand échantillon – nécessaire pour que les résultats soient interprétables – rendrait le coût de l’essai prohibitif, prendrait trop de temps et exposerait plus de personne au risque.

La sécurité est une des autres considérations. Les interactions médicamenteuses peuvent entraîner des doses dangereuses susceptibles d’augmenter leurs effets secondaires et leur toxicité. On peut aussi s’inquiéter de l’utilisation prolongée d’antirétroviraux pour les participants aux prises de risques faibles à modérés, chez qui les risques de prendre des antirétroviraux pourraient l’emporter sur les avantages de la protection.

Ces considérations méthodologiques et pratiques conduiront certainement la plupart des acteurs à conclure qu’il est actuellement impossible d’inclure la PrEP dans le paquet standard des futurs essais de prévention du VIH. Cette conclusion n’est pas justifiée si l’on invoque soit le document d’orientation sur l’éthique de l’ONUSIDA ou les principes fondamentaux de l’éthique de la recherche. Tant que les problèmes de sécurité sont satisfaits, maximiser les avantages de protection pour les futurs participants aux essais de prévention du VIH appuie la conclusion que la PrEP est prête à être standardisée dans les futurs essais de recherche sur la prévention du VIH.


[1“Is Preexposure Prophylaxis Ready for Prime Time Use in HIV Prevention Research ?”, Ethan A. Cowan, Ruth Macklin, AIDS. 2014 ;28(3):293-295.

[2Note de traduction : c’est-à-dire incluse dans le paquet standard de prévention d’un essai.

[3La bienfaisance, c’est la promotion de ce qui est le plus avantageux pour le patient (http://www.med.uottawa.ca/sim/data/…).