[Pour le magazine Fugues, 4 mai 2014 : http://www.fugues.com/239531-article-naturellement-nous-voulons-aussi-des-enfants-.html]
Les féministes conservatrices québécoises se régalent d’indignation depuis quelques mois : Charte des valeurs péquistes, arrêt de la Cour Suprême sur la prostitution, et maintenant gestation par autrui (GPA). Ainsi ces féministes « deuxième vague » quelque peu archaïques mais ô combien médiatiques, se sont mues de dénonciatrices historiques du patriarcat, de la domination masculine, de l’exploitation sexuelle et du sexisme systémique, en entrepreneuses de morale fixant les limites d’une citoyenneté acceptable : sans foulard, sans louer son corps, pas trop sexy et avec un utérus qui fonctionne. Dans leur confort bourgeois, elles nous expliquent sans nuance qu’une citoyenne émancipée n’est ni ostentatoire, ni pute, ni mère-porteuse…
Et tant pis qu’elles soient consentantes ou pas. Ces femmes voilées, travailleuses du sexe ou mères-porteuses sont forcément toutes victimes, soumises, exploitées, aliénées, traumatisées. Elles ne se rendent pas compte qu’elles sont des agents du patriarcat, qu’elles font le jeu de l’individualisme libéral, du narcissisme pathologique des gais (salops de phallocrates !), que leur consentement est biaisé, et qu’au bout du compte, elles encouragent l’exploitation des indiennes qui travaillent dans l’industrie des femmes-poules. Et oui, le consentement éclairé est l’apanage des sachantes au capital social et culturel impeccablement blanc.
Dans cette logique, interdire la GPA ici, c’est se battre pour les femmes exploitées ailleurs. C’est comme-ci on interdisait au Québec les transplantations d’organes car le trafic d’organe est une réalité mondiale. C’est comme-ci, pour lutter contre l’avortement sélectif en Inde et en Chine, on interdisait l’avortement chez nous. C’était comme quand les défenseurs de la Charte des valeurs péquistes nous expliquaient qu’elle allait avoir un effet positif sur le sexisme et l’homophobie d’État des théocraties islamistes (« ça va envoyer un message aux intégristes »). C’est ce que l’on appelle de la pensée magique : c’est illusoire, mais comme toute illusion, ça déculpabilise les consciences de nos baby-boomeuses qui ont acquis leurs privilèges contre vents et marées, toutes seules comme des grandes !
Il est d’ailleurs dialectiquement amusant dans tout ce débat, de lire un homosexuel pro-Charte pro-GPA Alban Ketelbuters, s’opposer vigoureusement à une hétérosexuelle anti-Charte anti-GPA Lise Ravary. Chacun d’eux manie le double standard paradigmatique de l’émancipation, dès lors qu’il s’agisse de l’expression publique du fait religieux ou de la liberté de disposer de son corps comme on l’entend. A contrario, l’homosexuelle Judith Lussier et l’hétérosexuelle Denise Bombardier excellent du point de vue de leur cohérence idéologique : la première est anti-Charte pro-GPA, la seconde est pro-Charte anti-GPA – ici, pas de deux poids deux mesures philosophiques. Il faut de tout pour faire un Monde : la subjectivation a ses raisons que la raison ignore !
Alors non, toutes les situations de GPA ne sont pas équivalentes, non il n’y a pas de filiation plus naturelle que les autres (puisque c’est un fait social total, donc culturel), et non l’agentivité et le libre-arbitre n’est pas le monopole des féministes hégémoniques. Une GPA éthique et équitable est possible : elle se pratique en Grande-Bretagne depuis 30 ans. Les hommes gais ne sont pas plus ou pas moins capricieux et narcissiques que les autres : ce sont des hommes, un point c’est tout ! Certains sont naturellement enclins au désir de paternité, parfois biologique. Et d’ailleurs ils n’ont pas attendus la permission des bien-pensantes pour faire des bébés avec des lesbiennes. Il est temps de constituer un féminisme quatrième vague qui n’exclut aucun groupe non normatif des droits communs et de l’accès à tous les privilèges. En 2014, la filiation biologique n’est plus un privilège hétérosexiste, et les enfants naissant de manière non classique, s’ils sont malheureux, ne le seront pas plus ou pas moins que les autres, ou le seront parce qu’ils liront un jour les blogues de ces dames, leurs expliquant qu’ils ne sont pas des êtres humains comme les autres.
Mise à jour (28 mai 2014) : en complément, lire cet excellent texte de Martin Gibert, chercheur postdoctoral en philosophie à McGill.