[Pour l’association Warning, 4 février 2011 : http://www.thewarning.info/spip.php?article325]
Avec quelques mois de retard, le Département de santé publique de San Francisco a publié son rapport épidémiologique annuel sur le VIH/Sida pour l’année 2009. Michael Petrelis [1] a donc effectué son petit calcul en utilisant les protocoles d’interprétation statistique du CDC [2]. Et surprise, la séro-incidence – soit le nombre de nouveaux cas de VIH diagnostiqués sur une période donnée – a baissé de 36% entre 2006 (975 cas) et 2008 (621 cas). Cette baisse concerne évidemment les HSH, notamment blancs, tandis que l’incidence parmi les HSH afro-américains, latinos et autres reste globalement stable… [3].
Faut-il en conclure que cette ville très gaie et très séropositive, toujours à l’avant-garde de la prévention en promouvant de manière extrêmement réactive l’ensemble des nouveaux outils préventifs et de réduction des risques (sérochoix, séroadaptation, sécurité négociée, TasP [4]), aurait eu raison ? En effet, alors que le film « The Gift » désignait le bareback comme responsable des transmissions du VIH parmi les gais, cette baisse montre que la campagne de stigmatisation des barebackers, désignés comme les responsables du maintien de l’incidence à un haut niveau, est fondée sur des idées reçues à l’évidence fausses.
Comme Warning le dit depuis longtemps, le « bareback » n’est que l’arbre qui cache la forêt des véritables transformations des pratiques culturelles de sexualité chez les gais. C’est l’inadaptation des politiques traditionnelles de prévention à ces transformations qui est la cause de la séro-incidence élevée.
C’est le retard pris sur le TasP – ou traitement comme outil de prévention – et, plus largement le manque de prise en compte du rôle que peuvent jouer les traitements pour briser la chaîne des transmissions, qui a empêché de limiter les contaminations, notamment dans les couples sérodifférents.
L’absence d’action véritable contre la pénalisation fait que les gais rechignent à se faire dépister par peur d’une annonce de séropositivité et donc d’être jugés seuls responsables de la prévention lors de relations sexuelles. Le blocage institutionnel face à la diversification des moyens de dépistage (tests rapides, autotests) est aussi un frein au dépistage. Tout ceci fait que la séro-ignorance se maintient à un niveau trop élevé (30% environ dans la plupart des estimations) or nous savons que celle-ci est responsable de près de la moitié des transmissions.
C’est la faiblesse de la lutte contre la sérophobie qui freine le dévoilement sérologique donc nourrit la séro-supposition (seroguessing) et par conséquent empêche la négociation éclairée de pratiques à moindre risque.
Enfin, c’est le refus de reconnaître les cultures sexuelles gaies séropositives basées sur le sérochoix, en continuant à brandir le spectre fumeux des surcontaminations, et en empêchant les soirées socio-sexuelles Poz, qui a entravé la transmission des connaissances préventive entre pairs, entre générations, entre sérologies.
Alors qu’en France on tergiverse toujours sur la mise en place des nouveaux outils de prévention, en spéculant sur l’efficacité des outils de réduction des risques sexuels (RDRs) ou en mettant en place un nouveau plan national de lutte contre le VIH/Sida et les IST (2010-2014) qui ne donne aucun protocole en la matière…
Alors qu’au Québec toute la prévention reste verrouillée entre les mains des seuls « experts » médicaux et universitaires, qu’on n’écoute toujours pas les personnes séroconcernées, qu’on ignore leur expertise et leur expérience, et qu’on ne diffuse pas l’information sur la RDRs [5]…
Alors qu’en Belgique, il faut quasiment partir de zéro [6]…
Qu’est-ce qu’on attend pour mettre vraiment en place prévention positive, RDRs, et passer assurément à l’ère post-bareback [7] ?
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Notes :
[1] Michael est activiste LGBT depuis les années 70. Il a été un membre très actif d’Act Up-New York durant les années 80. Il a aussi travaillé à plusieurs reprises avec Act Up-San Francisco. Il est particulièrement attentif à l’utilisation des dons caritatifs qui vont à la lutte contre le Sida et aux campagnes politiques. Son blog : http://www.mpetrelis.blogspot.com.
[2] Center for Disease Control, la référence fédérale en matière de surveillance des maladies.
[3] D’après Michael Petrelis, 30 décembre 2010 : http://mpetrelis.blogspot.com/2010/12/sf-dph-stats-new-hiv-infections-down-25.html
[4] Voir nos articles « La séroadaptation s’exporte », « Révolution en Californie dans la prévention », « Le sérotriage comme moyen de prévention », et cette entrevue : « Pour une gestion calibrée du risque ».
[5] Voir le communiqué de Warning-Mtl et PolitiQ-queers solidaires : « L’épidémie silencieuse : le silence de qui ? ».
[6] Lire la plateforme de revendications de Warning-Bxl : « Réduction des risques et santé gay à Bruxelles : il est grand temps que ça bouge ! ».
[7] Voir notre article « Quand les mots mettent à mal un concept coupé du réel : le nécessaire passage à l’ère post-bareback ».