Seronet, le premier site web communautaire francophone pour les personnes séropositives

[Pour l’association Warning, 12 novembre 2008 : http://www.thewarning.info/spip.php?article258]

Le site web http://www.seronet.info a ouvert ses pages aux internautes cet été. Outre les infos et autres brèves médicales de la planète sida et hépatites (accessibles à tous), Seronet offre des forums, blogs, petites annonces, etc. Géré par AIDES avec la collaboration de la COCQ-Sida (Québec), la nouveauté est ici de mettre la personne séropositive au centre de la vie du site et ce d’une façon interactive et fortement participative, en laissant au séronaute une liberté d’expression et de proposition inédite. Précisions avec son coordinateur, Olivier Jablonski.

Salut Olivier. En quelques mots tout d’abord : Seronet, c’est quoi ?

Un réseau social virtuel des personnes séropositives, qu’elles soient touchées par le VIH ou par les hépatites ou les deux. Dans ce lieu, différents outils sont mis à disposition des participants, à la fois des agoras sous forme de forums et d’un chat, des outils d’expression plus intimes tels les blogs ou encore des petites annonces. A ceci s’ajoute sur le site une partie actualités, qui fournit à la fois l’occasion de débats, mais aussi permet via des articles et dossiers de revenir ceux en cours sur le site. Et très bientôt des débats vidéos. Il existait auparavant des forums participatifs. Avec Seronet, cette dimension est mise encore plus en avant avec la démultiplication des outils et des espaces interactifs.

Peut-on peut enfin parler ici d’une réelle prévention positive c’est-à-dire pour et par les personnes séropositives ?

Je ne sais pas si l’on peut parler de prévention positive. On pourrait dire que le projet repose en partie sur le principe de la prévention secondaire, dans le sens où il vise à diminuer certaines conséquences de l’infection et là je pense notamment aux conséquences sociales telles que l’isolement, le rejet ou la souffrance du fait de la vision sociétale du sida. C’est la condition même de vie, au quotidien, des personnes positives dont il s’agît, ou tout au moins pour ceux et celles qui sont à un moment de leur vie, dans une posture difficile. Le projet a été conçu sans inclure un objectif de prévention, au sens classique d’éduquer les personnes à la prévention de la transmission. C’est un choix, à mon avis, judicieux. Tout d’abord parce qu’il existe déjà une documentation abondante disponible aussi bien sur papier que sur le Net pour ceux qui le souhaitent, et puis parce que beaucoup en ont assez qu’on réduise leur vie à des prescriptions comportementales. La logique de l’internet accentue encore cet aspect du fait de la dimension très individualiste des réseaux virtuels. Seronet vise à accueillir tous les séropositifs, sans discrimination de leur type de prévention. Le cadre tient donc à respecter les choix de chacun en accord avec la vision que soutient AIDES, à savoir l’approche par la réduction des risques sexuels. A partir de là, les internautes peuvent débattre, échanger autour des questions de prévention dans ce cadre ouvert, s’ils le désirent.

L’association entre les français de AIDES et les québécois de la COCQ-Sida correspond-elle à un engagement réfléchi ? Qu’attendez-vous de cette collaboration ? Penses-tu que les conceptions et expériences nord-américaines et françaises pourront respectivement s’enrichir et déboucher sur des propositions communes ?

AIDES, comme Warning, a fait le même constat du besoin de partenariat et de collaboration au niveau international. On le voit à Warning sur les questions de prévention, mais d’autres axes peuvent être développés par exemple la défense des droits des personnes – les Québécois sont aussi confrontés à la criminalisation de la transmission du VIH. Il y a aussi l’intérêt d’échanger sur nos représentations de la maladie et nos capacités à surmonter les épreuves que nous traversons en tant que séropositifs. Au niveau de la Recherche, le monde Nord-américain est plus avancé sur les approches de santé globale. Tous ces éléments montrent les affinités communes entre la coalition COCQ-Sida et AIDES. Par ailleurs, quand on lance un projet de ce type, il y a évidence à le concevoir à un niveau international, tout simplement du fait de la langue utilisée sur le site, le français. En ce sens, Seronet est dès son origine francophone. De cette collaboration, nous attendons plusieurs choses, d’abord chaque association qui sera partenaire du projet prendra part à l’organisation et l’animation du site afin que Seronet soit le mieux adapté à chaque pays. Au quotidien, il s’agit d’avoir des animateurs représentant les différentes sphères culturelles francophones ainsi qu’une information qui ne soit pas centrée uniquement sur la France. Je pense que ce sont deux conditions minimales pour que les internautes se retrouvent chez eux sur Seronet. Par ailleurs les animateurs permettront de faire le lien entre les différents francophones, bref de lisser les mécompréhensions culturelles, établir des passerelles. Enfin, une collaboration trans-continentale est un formidable outil pour une meilleure compréhension du projet, de sa dynamique et de ses enjeux futurs.

Seronet a été lancé au début du mois de juillet. Etes-vous satisfaits de sa fréquentation ? Avez-vous pu d’ores et déjà mesurer sa popularité ou non ?

C’est aux séronautes qu’il faudrait poser la question de la popularité. Des chiffres que nous avons, force est de constater un premier succès. Chaque soir le chat est plein avec souvent près de 20 à 25 personnes en ligne. Des discussions qui y ont lieu, il ressort qu’un besoin de convivialité est rempli via ce lieu virtuel. Nombreux sont les échanges autour du quotidien de vie des séropositifs. Du virtuel au réel, le site a permis à plusieurs internautes de s’organiser pour mettre en place des rencontres entre-eux en vie réelle. Une rencontre d’une dizaine de personnes a eu lieu à Paris récemment. D’autres sont prévues dans le Sud. Nous savons qu’en moyenne un séronaute reste environ 10 minutes sur le site. Dix minutes, cela peut sembler peu, mais c’est en fait un très bon indicateur du fort intérêt pour le site, car la plupart des sites présentent une durée moyenne de fréquentation bien moindre. Certains séronautes, les plus fidèles restent bien plus longtemps chaque jour sur le site. En moyenne plus de 700 personnes viennent chaque jour sur le site, parmi ceux-ci il y a les inscrits, c’est-à-dire ceux qui contribuent en postant des messages, des billets de blogs, participent au chat, soit près de 2300 personnes inscrites depuis l’ouverture. Trois mois après l’ouverture, le bilan est donc favorable. Il reste que pour l’instant, la majorité des connectés est française. Il est donc trop tôt pour établir un bilan au niveau international. Durant ces premiers mois, notre priorité était de stabiliser le site au niveau technique, d’éviter les pannes et de roder la mécanique. Nous pouvons maintenant nous occuper de promouvoir le site au niveau international et je pense notamment à l’Afrique francophone avec les partenaires associatifs de AIDES.

Warning a toujours considéré l’internet comme un outil stratégique pour entrer en contact avec les personnes avec une posture de parole à la première personne. Sur Seronet, le principe est poussé plus en avant. Comment gérer les diversités de points de vue (parfois contradictoires), de vécus et de sexualités qui y sont présents ? Ne doit-on pas craindre un brouillage de l’information dû à une multiplication et à un éclatement des thèmes et des propos que l’on peut y trouver ?

Tout dépend comment vous définissez le terme « information ». Warning pousse effectivement à ce qu’il y ait une plus grande transparence et que le vécu des personnes soit pris en compte, mais force est de constater que la facture du site Warning est de forme classique. Il s’agit d’une parole associative, même si elle s’exprime à la première personne et que de temps en temps, elle est ponctuée par l’opinion des lecteurs. Seronet est un projet tout à fait différent, complémentaire aux sites qu’ont habituellement les associations. D’abord il faut prendre en compte le fait qu’il ne s’agit pas de mettre en place un système de question-réponse comme l’on trouve sur d’autres sites (« Quels sont les risques si … ? etc). Nous ne sommes pas sur Seronet dans un discours de vérité mais plutôt dans une démarche visant à favoriser l’expression des communautés touchées, pour renforcer les capacités des personnes à gérer leur pathologie dans les aspects santé, affectif et social. En ce sens, Seronet pose un cadre de débats et chaque internaute s’en empare pour exposer la problématique qui l’intéresse et la confronter au débat d’idées et aux propositions de réponses fournies par les autres membres. Aussi il y a démultiplication des thèmes abordés, des thèmes qui parfois ne sont pas nécessairement les priorités retenues par les associations. Enfin, il faut être lucide. Seronet ne fait que mettre à jour publiquement, sur l’internet, cet éclatement et cette multiplication des opinions qui existent déjà dans la vie réelle depuis bien longtemps.

Pour ceux et celles qui préfèrent obtenir une information stabilisée, Seronet a mis en place une section documentaire qui reprend sous forme de fiches les documents publiés par AIDES ces dernières années, sur les thèmes du vécu avec le VIH ou des hépatites. D’autres documents des associations partenaires au projet seront ajoutés progressivement. Enfin, il est vrai que les forums peuvent montrer un aspect chaotique. Les internautes ne regardent pas forcément si une question a déjà été débattue avant de lancer un nouveau fil de discussion. Et les discussions polémiques peuvent générer 100 à 200 commentaires. Difficile donc parfois de s’y retrouver. C’est toute la difficulté d’un site de ce type. Nous allons nous efforcer de mieux organiser les forums pour permettre à chaque nouveau lecteur d’avoir une synthèse rapide des débats, des enjeux et des questions abordées. C’est un travail fastidieux mais qui apportera un réel plus.

J’ai pu lire un certain nombre de forums où les échanges entre participants étaient plutôt vifs, notamment autour du bareback chez les gais. Comment expliques-tu que cette question, bien analysée et documentée aujourd’hui, soit encore diabolisée ? Pourquoi est-ce que ce sujet provoque toujours autant de tintamarre sur des forums proposés par les séronautes, alors que le débat semble ailleurs digéré, pacifié, outillé (par la réduction des risques sexuels) et donc finalement dépassé ?

Si la question a été parfois analysée, je ne pense pas qu’elle soit bien documentée. Il y a beaucoup de non dit sur le sujet et très peu de recherches satisfaisantes. Le bareback a longtemps été un effet de langage à visée psychiatrisante ou moralisante. La réalité et la complexité du vécu des personnes ont trop souvent été ignorées. Il est vrai qu’au niveau associatif, on peut avoir l’impression que le débat est dépassé, même s’il n’est pas vraiment, à mon avis, bien digéré. Certains penseront qu’il est congelé. Il aurait été intéressant de voir comment se serait déroulée la discussion il y a quelques années si Seronet avait déjà existé. Mener un débat sur le bareback est difficile car il faut connaître l’historique de la question, et principalement les phénomènes discursifs générés par les acteurs majeurs du débat (qu’ils se soient exprimés ou pas d’ailleurs). Sur Seronet, le débat est mené par quelques personnes, qui s’opposent pendant que les autres préfèrent ne pas intervenir ou peut-être ne voient pas l’intérêt d’intervenir sur la question de la transmission du VIH et de la prévention avec l’entrée « bareback ». Il faudrait faire une analyse à froid de ce qui en est dit sur Seronet, mais à première vue, j’ai plutôt l’impression que les utilisateurs du site sont plutôt progressistes et qu’ils évitent de tomber dans le piège de ce type de débat. Le mot ayant été rendu polémique, la discussion n’est plus possible ou presque. Elle tourne vite à l’hystérie et l’idéologie. Le consensus apparaît difficilement. En plus, les définitions sont floues. Rapidement sont visées certaines catégories de séropositifs, et la plupart des séropositifs ont bien compris le danger d’une telle approche. Ils vivent ou ont vécu au quotidien le poids d’être touchés par une pathologie discriminante et sont réfractaires à la désignation de bouc-émissaires. Enfin une bonne partie des séronautes avaient déjà la pratique des forums sur d’autres forums pour séropositifs et savent à quoi s’attendre, ce qui me fait croire que ce même débat devient relativement plus calme quand il arrive sur Seronet. Alors Tintamarre ? Je ne le pense pas. Avant qu’il ne soit pacifié, le débat devra affronter la question de la terminologie qu’il est nécessaire de changer. Warning a proposé les termes de sérochoix et séroadaptation. Le premier est passé dans l’usage public, mais le second, beaucoup plus intéressant n’a pas encore percé. Il faudra encore quelques temps avant l’arrivée d’un langage commun et une compréhension globalement apaisée des phénomènes.

Seronet n’est-il pas en passe de devenir le nouvel espace francophone d’informations et de débats sur les questions liées au VIH-sida et aux hépatites ? En effet, l’information intégrale, les débats contradictoires, bref finalement les connaissances et leurs applications tangibles sont généralement très peu publiques, entre les mains de quelques « experts » et associations dans un système encore hyper-centralisé. Cela s’est clairement illustré avec par exemple les recommandations suisses ou certaines campagnes de prévention de l’INPES. Bref, est-ce qu’on ne redonne pas le pouvoir au quidam en lui offrant la possibilité d’accéder complètement et rapidement à toute l’information ? N’est-ce pas là une réactivation d’un slogan un peu mis au placard à notre époque de post-crise sida : information = savoir = pouvoir ?

L’internet est un outil qui change la donne et accélère la diffusion de l’information. N’oublions-pas toutefois que la majorité de la population séropositive est précarisée et donc a moins accès à l’internet. Mais je ne pense pas qu’il y ait une profonde rupture. Car au sein de AIDES, Seronet est la continuation de la démarche communautaire, et fonctionne dans la même logique que les groupes de paroles ou regroupements thématiques dans les délégations de l’association. Nous sommes là toujours dans l’échange d’expérience qui amène au renforcement des capacités, ce que vous traduisez par l’idée d’expertise et l’équation foucaldienne information = pouvoir. Je ne pense pas du tout que cette façon de procéder soit au placard, simplement elle n’est pas partagée par tous. Avec Seronet, l’approche communautaire aidienne dispose d’un nouveau porte voix sur un nouveau territoire, l’internet. Avec l’exemple des recommandations suisses, force est de constater que l’effet n’est pas celui qu’attendaient certains. La publicisation via les recommandations suisses n’a fait que rattraper un retard. Car dans certains couples sérodifférents, les recommandations étaient déjà en application depuis plusieurs années, parfois en accord avec leur médecin. Plusieurs témoignages dans ce sens ont ainsi été publiés par les internautes sur Seronet. Bref, ces recommandations n’étaient franchement pas une nouveauté. Voici l’effet intéressant du Net. Les Suisses ont simplement, même si c’est très important, levé le voile sur une réalité déjà en place. De fait, le débat public sur la prévention est en train de se reconfigurer. L’effet internet a accentué ce phénomène. Seronet, démocratie directe ? Je ne le crois pas. La médiation, le relais via les associations, sous forme de plaidoyer, restera nécessaire, étant donné les contraintes mêmes de sites tels que Seronet. Seronet est l’expression d’individualités. Il n’est pas facile d’y retrouver une expression collective clairement affirmée et politisée.

Tu es à la fois coordinateur de Seronet et ancien président de Warning. Comment gères-tu cette double casquette ?

Je ne suis plus président depuis la dernière assemblée générale, je suis devenu simple membre, ce qui m’allège la charge de travail. Warning et AIDES sont des associations amies ayant déjà par le passé travaillé ensemble notamment lors de la conférence de 2005 sur la santé gaie ou les états généraux des gays touchés par le VIH/sida en 2006. Il n’y a pas d’obstacle majeur sur nos visions de la prévention ou sur les questions autour de la qualité de vie des personnes. Nous avons le même souci d’opposition à la pénalisation de la transmission du VIH.

Quel avenir espères-tu pour Seronet ? Avez-vous d’ores et déjà des projets d’améliorations ou de nouveautés pour le site ?

Après quelques mois d’existence, il faut d’abord mettre en ligne les derniers éléments prévus dans le projet avant d’explorer la mise en place de nouveaux concepts ou outils. Les groupes devraient ouvrir d’ici quelques semaines. Les débats vidéos arriveront début décembre. Seronet est un gros chantier et l’on ne sait pas le visage que le site aura d’ici quelques années.

Qu’est-ce que Seronet apporte aux séronautes ?

A lire tes questions, je t’imagine utilisateur régulier du site. Que t’apporte Seronet ?